Point d’orgue avec Hervé This …

3 04 2012

Ingénieur de l’école supérieure de Physique et Chimie de Paris (ESPCI) Hervé This est physico-chimiste a l’INRA au laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France.

Co-créateur avec Nicholas Kurti de la discipline  scientifique nommée gastronomie moléculaire. Directeur scientifique de la Fondation Sciences et Culture alimentaire (Académie des Sciences). Président du comité pédagogique de l’institut des hautes études du goût. Chargé d’enseignements à Siences Po.

Il a été chargé de plusieurs missions par les ministères de l’éducation nationale, de la recherche et de l’industrie. Membre de l’Académie Royale de Belgique.

Toutes les 3 semaines, je me rends à l’école Ferrandi pour assister à la réunion du Groupe d’études de précisions culinaires dirigé par Hervé This.  C’est une après-midi hors du commun, Hervé This me fait penser au professeur Tournesol sans la barbichette et sans la paire de binocles.  Toujours en chemise blanche col mao, il présente plutôt un physique d’acteur américain à la dégaine française ! Il s’amuse, il provoque, mais son discours est précis, sans appel, le ton est communicatif, il fait participer le groupe avec enthousiasme, le regard est rieur mais agrandi par la lumière qu’il transmet  lorsqu’il nous lance « vive la connaissance ».

 

SBR – Votre première émotion chimique ?

HT – C’était à propos d’une boîte de chimie que j’ai eu quand j’avais 6 ans, qui m’avait été offerte par mes parents, une espèce de boîte en bois que j’ai toujours d’ailleurs, accompagnée d’un manuel plein d’erreurs. L’expérience consistait à prendre un carbonate de calcium que l’on chauffait…. (retour en arrière : flashback, le regard s’anime) …….

On obtient une poudre blanche et simplement lorsqu’on laisse refroidir si on verse une goutte d’eau par dessus, à ce moment là, …(suspense !)

On voit une espèce de fumée qui s’évaporise très fort, c’est une grosse réaction, d’abord c’est amusant et puis ensuite l’expérience propose de faire du lait de chaux. En partant de cette chaux éteinte on obtient à travers un filtre  une solution complètement liquide et là, on prend une paille, on souffle dedans, un trouble apparaît, c’est du carbonate, on laisse sédimenter, on récupère au fond du récipient le même carbonate qu’au début. Alors c’est vraiment éblouissant, c’est la transformation de la matière, c’est ça la chimie !

SBR – Un plat d’enfance ?

HT –  On était en Lorraine, j’allais le dimanche à midi chez mes grands-parents paternels, j’étais chargé enfant, d’aller chez le boulanger chercher le pâté Vosgien: 1 fond de pâte brisée, avec par dessus du feuilletage dorée à l’oeuf, puis une cheminée; a l’intérieur il y a du veau et du porc marinés pendant une nuit avec du vin blanc, 4 épices, persil, échalottes, un peu d’ail. Une odeur extaordinaire se dégage et ce qui est amusant, le goût de mon enfance n’apparaît qu’après 3/4 d’heure de cuisson. Je ne sais pas pourquoi il y a ce goût qui change à un moment donné; pour le vérifier nous avons fait des essais  au lycée hôtelier de Metz avec des Meilleurs Ouvriers de France.

 

 

J’ai essayé, c’est délicieux, et toute la famille s’est régalée !  Avec une bonne salade aux champignons grillés en accompagnement… 

 

 

Du côté maternel la famille est originaire des Vosges et descend du physicien MESSIER, astronome de Louis XIV, auteur d’un catalogue d’étoiles (serait-ce génétique ?)…. Nous avions un grand verger à Badonviller et j’ai le souvenir merveilleux de tartes aux quetsches et aux mirabelles. On  partait aussi en famille avec 3 gros sacs en toile de jute et on revenait en général avec 1 sac plein de trompettes, un autre plein de girolles, le 3ème plein de bolets. On ne comptait pas les heures de nettoyage. J’ai toujours eu une passion pour les champignons !

 

 

SBR – Vous avez aussi fait des études littéraires et obtenu une licence en lettres modernes. En dehors de Mme de Saint-Ange (la bible de nos grands-mères) que nous analysons avec vous au Centre Ferrandi, quelles sont vos lectures favorites si vous avez le temps de lire ?

HT – Je ne veux pas lire, parce que j’ai des choses à produire, c’est vrai que pendant longtemps il y a eu  très spécifiquement « La tentation de Saint-Antoine » de Flaubert, je ne suis pas sûr d’aimer les autres ouvrages, je les admire, mais je ne les aime pas. En revanche, « La tentation de Saint-Antoine » je l’admire et je l’aime. En fait, il avait son » gueuloir » c’est-à-dire que les textes sont des cris parlés, ce qui est le plus extraordinaire c’est encore chez Rabelais, c’est de l’écrit par les cris en quelque sorte, c’est pour cela que j’ai une passion pour lui en ce moment, il est jovial, et déteste les « pisse vinaigre » etc…. La tentation de Saint-Antoine de Flaubert est une oeuvre artistique au sens le plus élevé du terme.  Il met un ermite sur une montagne, il est « à poil » mais on voit défiler devant nos yeux le monde entier. C’est ça la puissance d’évocation dans ce livre extraordinaire.

SBR – Jouez-vous d’un instrument ?

HT – Oui j’ai fait 10 ans de piano, avec Marie-Charlette Benoit proche de Marie Jaell, ensuite du cor, de la trompe de chasse, de la trompette, après 2 ans de lèvres fendues, je suis passé à la flute traversière. J’étais élève de Claude Dorgueille et d’André Leroy de la grande école française de flute, c’est lui qui a créé Densité 21,5 de Varèse à New York en 1947.

SBR –  Trouvez-vous le temps de pratiquer ?

HT – Je pratique de temps en temps. Lorsque je suis enkilosé dans mon fauteuil je me lève, je prends ma flute et je joue un peu.

SBR – Quels sont les compositeurs que vous écoutez ?

HT – J’écoute un peu de tout , parce que je ne suis pas sur que cela m’interesse beaucoup. Ce qui me passionne c’est de faire de la production de mon travail, donc je mets un fond musical. En ce moment par exemple j’écoute Knob, du jazz danois extraordinaire (très bon choix ) mais juste avant j’écoutais le concerto pour Cor de Mozart (sublime).

SBR – Pensez-vous qu’un plat réalisé avec amour par un Chef puisse susciter une émotion aussi grande qu’un tableau de Maître ou une oeuvre musicale ?

HT – Oui. J’ai pleuré 2 fois d’émotion, 1 fois à la Table d’Anvers avec un plat réalisé par Christian Conticini, et une autre fois chez Pierre Gagnaire. C’était tout à fait extraordinaire. L’art pose des tas de questions, qu’est-ce que cela veut dire d’être submergé par une émotion comme ça ? C’est très intéressant….(pensif)

SBR – Cuisinez-vous vous-même ? Si oui quel est votre plat fétiche ?

HT – Oui je cuisine tous les jours, tous les soirs, un plat fétiche ? je n’en veux pas ! je les déteste, je veux apprendre tout le temps, c’est vrai que.. je fais des pâtés Vosgiens, et je ne devrai pas voilà ! (un peu tétu ?)

SBR – Quel est la différence entre le beau à voir et le beau à manger ?

HT- Le beau à manger c’est le bon; le beau à voir c’est le beau à voir ! Et donc je n’aime pas beaucoup que les plats soient beaux à voir. Ce que je demande c’est que les plats soient bons à voir, c’est-à-dire beaux à manger.

SBR – Comment expliqueriez-vous la cuisine note à note à des pianistes en herbe qui ont de l’imagination et qui cuisinent les pièces qu’ils jouent au piano comme une dégustation auditive ?

HT- C’est comme utiliser un syntétiseur, on a des composés individuels. Ou bien c’est plus facile pour des enfants de comprendre le mélange des couleurs : avec du jaune, du rouge, du bleu on peut faire toutes les couleurs, mais avec du marron et du violet qui sont des mélanges des 3 couleurs élémentaires on ne peut pas faire du rouge, du jaune et du bleu.

SBR – Si vous deviez inviter plusieurs personnes mortes ou vivantes à un dîner dont vous auriez inventé le concept culinaire, qui aimeriez-vous avoir à votre table ?

HT – Des amis que j’ai perdus et que j’aimerais bien avoir à ma table, Nicholas Kurti     ( physicien anglais père avec Hervé This de la gastronomie moléculaire), Georges Bram (chimiste) mon grand-père maternel qui était un homme remarquable et que j’ai un peu manqué, j’aimerai bien rediscuter avec Guy Orisson, Pierre Potier qui étaient des chimistes extraordinaires. Rencontrer Lavoisier, Pasteur, peut-être Barcet, certainement Geoffroy (chimistes) Diderot ce serait absolument nécessaire.

SBR – Si Paris était une odeur ?

HT – Une odeur de métro

SBR – Si Paris était un goût

HT – (Il est dubitatif) Le pâté Pantin peut-être … ce qui se rapproche le plus du pâté Vosgien… Je suis déraciné, pour moi Paris n’existe pas, il n’y a que mon village d’Alsace qui existe, ou bien les Vosges parce qu’il y a une terre rouge, les grandes forêts sont pleines de champignons, les ruisseaux regorgent de  petits poissons…. Une petite mousse verte….

SBR – Vous avez inspiré et influencé les plus grands cuisiniers à travers le monde par vos découvertes et vos reflexions sur la gastronomie moléculaire, aujourd’hui la cuisine note à note commence à faire parler d’elle, vous en êtes le père, que ressentez-vous ?

HT – Je n’ai pas d’état d’âme, je ne ressens rien, et je ne veux rien ressentir, j’ai du boulot, il faut que je travaille !

SBR – Comment voyez-vous l’avenir dans votre assiette ?

HT – J’espère bien que ce sera la cuisine note à note qui viendra s’ajouter aux cuisines précédentes, j’espère surtout que l’on aura à manger et que les 9 milliard d’êtres humains qui sont sur terre, ne vont pas faire des guerres absolument catastrophiques pour des raisons Malthusianistes.

 

Vin conseillé avec le Paté Vosgien: Un Pinot Auxerrois  vieilles vignes ( Domaine Pierre Hager )

Musique : le concerto pour flûte et orchestre de Mozart !


Hervé This, Science et gastronomie moléculaire par les_ernest

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